Récit de voyage à Madagascar

Madagascar exporte plus de 1000 tonnes de gemmes par an. Les saphirs de Madagascar représentent plus de 40% du marché du saphir mondial *
L’éthique nous tenant à cœur, nous nous rendons régulièrement sur place pour voir dans quelles conditions ils sont exploités.
Les pierres fines et précieuses de Madagascar sont exploitées de plusieurs façons: dans des exploitations artisanales et dans des mines à ciel ouvert.

Nous nous sommes d’abord rendus dans la vallée d’Ibity, à une trentaine de kilomètres de la capitale régionale Antsirabe. En arrivant aux villages d’Ambatomivarina et Sahatany, après quelques kilomètres de pistes entre les collines et les rizières, la première chose que l’on remarque est la relative prospérité des lieux : maisons en dur et à étages, crépis et toits en tôle. Le niveau de vie des agriculteurs dans la région est plus élevé que dans l’ensemble des milieux ruraux malgaches. Cela est dû à l’exploitation, en parallèle de la terre, du sous-sol de la vallée, qui regorge de pierres fines en tout genre.

Liselotte notre lapidaire sur les mines à Ilakaka

D’anciennes parcelles de cultures sèches sont ici parsemées de dizaines de trous allant de 15 à 20 mètres de profondeur et de tonnes de déblais, donnant au paysage un aspect martien. Ces trous sont reliés entre eux par des galeries afin de suivre les filons et de faire circuler l’air. Les paysans creusent et trient la terre avec les moyens du bord : pas de produit chimique nocif pour l’humain et l’environnement. Les retombées environnementales semblent minimes, et l’impact négatif réel sur le paysage est compensé par une hausse significative du revenu des ménages.

Les mines artisanales à Ilakaka, quant à elles, vont jusqu’à 25 mètres de profondeur. Le risque d’éboulement rend ces exploitations dangereuses, mais la possibilité de trouver une pierre exceptionnelle qui les rendrait millionnaires motive les jeunes malgaches à descendre. Les femmes et les enfants n’y sont pas autorisés, mais peuvent aider au tamisage du gravier. Comme l’a dit Aina, un jeune mineur que nous avons croisé : « aller dans ces mines, ça donne l’espoir ; l’espoir d’être riche un jour si je travaille beaucoup »

Nous nous sommes ensuite rendus dans les environs d’Ilakaka afin de voir de plus grosses exploitations. Le procédé est le même au départ : un trou creusé afin de ramener le gravier à la surface, le nettoyer et le trier. Une fois le filon trouvé, on « élargit » le trou pour accéder plus facilement à la couche gemmifère. Comme pour la manière artisanale, aucun produit chimique n’est employé, à l’exception de l’essence pour les gros engins. Les pierres sont nettoyées et triées à l’eau par densité. Les mineurs sont employés à la semaine ou au mois, le salaire allant de 300 000 à 1 million d’ariarys (80 à 260 euros) par mois suivant le poste occupé (le salaire minimum étant de 155 000 ariarys – 40 euros – par mois), plus les primes en fonction des pierres trouvées. Les mineurs peuvent aussi être « sponsorisés ». Un investisseur leur paye le matériel, le toit et la nourriture, contre un premier droit de regard sur les pierres trouvées dans la mine. Les conditions de travail sont plus sûres que dans les mines artisanales, mais ils n’auront jamais la possibilité de tomber sur la pierre qui les rendra riche. Ce genre de mines est donc plus généralement choisi par les mineurs qui doivent avoir un revenu régulier pour nourrir leurs familles.

Mine Colorline, Madagascar

Un aspect vraiment problématique est l’absence d’autorisation officielle du gouvernement pour creuser. L’organisation à Madagascar est décentralisée, informelle : pour creuser, une autorisation orale d’exploitation doit être donnée par l’équivalent du maire du village, sans besoin d’informer le Ministère des mines, par crainte de la corruption. C’est pour cette raison que beaucoup de mines sont considérées à l’international comme illégales, alors qu’elles sont informellement autorisées. Mais afin de pouvoir exporter les gemmes, il faut pouvoir dire de quelle mine elles viennent, et l’inscrire sur un registre. Si la mine n’existe pas sur les registres officiels, le manque de transparence complique les flux commerciaux et remet en cause toute notion d’éthique.

D’après une étude de l’Institut de Gemmologie de Madagascar, les mineurs gagnent 3 à 9 fois plus que les ouvriers agricoles. L’appât du gain ou d’un salaire décent motive beaucoup de malgaches à partir pour les mines, ce pays étant le quatrième le plus pauvre du monde, avec un PIB moyen par habitant de 449$ (à titre de comparaison, le PIB moyen par habitant en France est de 38 476$).
Après avoir discuté avec de nombreux mineurs, beaucoup étaient très motivés par la démarche éthique, mais ne savaient pas comment faire : l’exemple le plus flagrant étant le manque de moyens pour les petits exploitants afin de sécuriser leurs mines.
Lorsqu’ils respectent des engagements environnementaux et sociaux ils ne savent pas comment l’attester.

Il existe quelques initiatives d’entreprises privées qui veulent garantir une transparence et une traçabilité dans l’approvisionnement des gemmes. Il nous semble en tout cas essentiel de sensibiliser les fournisseurs locaux aux nouvelles exigences de responsabilité sociale et environnementale. La Maison Piat s’engage à utiliser sa grille de critères éthiques pour chaque nouvel achat de pierres dans ce pays.

*(informations recueillies lors de la Conférence du 25 octobre 2018 « Investir dans le domaine des pierres précieuses : les opportunités », tenue par Andrianirina Rasolonjatovo, Directeur Général de l’Institut de Gemmologie de Madagascar).